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Übersetzung

Seit 2023 vergibt die Schillerstiftung einen neuen Preis, den Viceversa-Preis für literarische Übersetzung. Dieser Preis wurde in Zusammenarbeit mit der Literaturplattform Viceversa ins Leben gerufen und ist bestimmt für die Übersetzung eines bedeutenden literarischen Werks, die eine Autorin oder einen Autor aus der Schweiz in einer anderen Landessprache bekannt macht.

Um diesen mit CHF 5’000. – dotierten Preis erhalten zu können, müssen die Autorinnen und Autoren des Werkes oder der Übersetzung die Schweizer Nationalität besitzen oder mindestens seit fünf Jahren in der Schweiz leben. Es gilt keine Altersbegrenzung.
Im Selbstverlag publizierte Werke können nicht berücksichtigt werden.

 

Camille Logoz

Übersetzung von Lika Nüssli : Une enfance de paille

Genève : Atrabile, 2023

Jurybegründung / Avis du Jury :

Eindrücklich zeichnet Lika Nüssli in ihrer Graphic Novel Starkes Ding (Schweizer Literaturpreis 2023) die Erinnerungen ihres Vaters auf, der als Verdingbub auf einem Bauernhof arbeiten musste. Die Übersetzerin sah sich vor die Herausforderung gestellt, präzise Darstellungen einer vergangenen ländlichen Deutschschweiz auf Französisch wiederzugeben. Ein dem Buch angehängtes Glossar erklärt die spezifisch schweizerischen Ausdrücke, die sie dafür benutzte. Dabei trifft Camille Logoz den trockenen Humor und den lakonischen, nie larmoyanten Ton des Ich-Erzählers perfekt. Manchmal gelingt es auf Französisch sogar noch kürzer und prägnanter als auf Deutsch, etwa im Satz «L’été 1944, j’ai eu sept ans et un œuf au plat rien que pour moi.»

Dans son roman graphique Starkes Ding (Prix suisse de littérature 2023) Lika Nüssli retrace avec force et acuité les souvenirs de son père, qui fut placé comme enfant dans une famille de paysans. La traductrice a dû relever le défi de transcrire en français les descriptions précises d’un passé rural suisse alémanique. Un glossaire en fin d’ouvrage signale les expressions typiquement suisses dont elle s’est servie. Camille Logoz trouve ainsi le ton exact d’un humour sec, laconique, jamais larmoyant du narrateur. Il lui arrive même d’être parfois plus courte et concise qu’en allemand, comme dans cette phrase « L’été 1944, j’ai eu sept ans et un œuf au plat rien que pour moi. »

Camille Logoz a étudié la littérature à Lausanne et Zurich (français et allemand). La traductrice vit à Lausanne. En 2019 elle participe au programme Goldschmidt pour jeunes traductrices et traducteurs littéraires. En 2021 paraît sa traduction du roman de Ursula Timea Rossel, Man nehme Silber und Knoblauch, Erde und Salz (Bilgerverlag) : Prenez de l’ail et de l’argent, du sel et de la terre (Hélice Hélas) et en 2023 le roman graphique de Lika Nüssli, Starkes Ding (Edition Moderne) : Une Enfance de paille (Atrabile). Sa dernière traduction est celle du roman de Yael Inokai, Ein simpler Eingriff (Hanser) : Une simple intervention (Éditions Zoé, 2024).

 

Remise du Prix Viceversa, le 31 août 2024

Le Livre sur les quais à Morges

De gauche à droite : Dominik Müller, Ruth Gantert, Camille Logoz

 

Laudatio tenu par Ruth Gantert

 

Camille Logoz a étudié la littérature francophone et germanophone à Lausanne, où elle vit, et à Zurich. En 2019, elle a participé au programme Goldschmidt pour jeunes traductrices et traducteurs littéraires. Depuis lors, elle a publié des traductions littéraires de textes très variés : des romans et récits, des pièces de théâtre, des romans graphiques, des essais, de la poésie et de la littérature jeunesse. Elle a ainsi traduit Die Welt ist verkehrt, nicht wir ! de Wilfried Meichtry, un livre sur un couple suisse en dehors des conventions, en français Jusqu’au bout des rêves, paru chez Cabédita. La grande œuvre féministe Frauen im Laufgitter de Iris von Roten, Femmes sous surveillance (chez Antipodes). Le roman de Ursula Timea Rossel, Man nehme Silber und Knoblauch, Erde und Salz (Bilgerverlag) : Prenez de l’ail et de l’argent, du sel et de la terre (Hélice Hélas). Le livre jeunesse de Eva Roth, Lila Perk, Survivre avec mon père, à la Joie de lire. Cette année, viennent de paraître ses traductions du roman de Yael Inokai, Ein simpler Eingriff (Hanser) : Une simple intervention (Éditions Zoé), la pièce de théâtre de Sibylle Berg, Und dann kam Mirna, Et soudain Mirna, chez l’Arche, le roman graphique d’Anja Wicki, In Ordnung (Edition Moderne) : Ça ira (Éditions Antipodes).

En parallèle de son travail de traductrice, elle est directrice de programmation du festival de la fondation ch « Aller-retour » à Fribourg, elle est assistante à la mise en scène, siège au comité de l’AdS et exerce une activité de médiatrice culturelle.

Le roman graphique de Lika Nüssli, Starkes Ding (Edition Moderne), paru chez Atrabile, a obtenu entre autres le Prix Delémont BD du meilleur album suisse de bande dessinée 2022 et un des Prix suisses de littérature de l’Office fédéral de la culture en 2023. C’est pour la traduction de cette œuvre que Camille Logoz reçoit aujourd’hui le prix Viceversa de traduction.

Il suffit de mettre côte à côte les deux couvertures, pour voir qu’une traduction est une nouvelle création du livre : le livre allemand s’appelle Starkes Ding, on voit une énorme meule de foin et des jambes qui disparaissent sous le fardeau – la version française reprend le motif du dessin dans le titre écrit, Une enfance de paille, tandis que le dessin montre la saison opposée, l’hiver avec le travail de déblayage de la neige.

En allemand, il y a le terme de « Mutterbuch » et de « Vaterbuch », selon qu’un écrivain consacre un livre à sa mère ou à son père. Lika Nüssli a fait les deux, elle a publié d’abord le livre Vergiss dich nicht, consacré à la mère de la dessinatrice, qui vit dans un EMS parce qu’elle perd la tête. Starkes Ding est le livre de son père : le père très âgé vit également dans une maison de retraite, où l’artiste lui rend visite. Pendant ces rencontres, elle se fait raconter l’enfance de son père au Toggenburg, dans la campagne saint-galloise. L’histoire commence en 1943, quand le petit Ernst a six ans. Le livre raconte l’enfance pauvre, mais pas malheureuse du garçon et de ses six frères et sœurs jusqu’au moment où Ernst est placé chez un autre paysan sans enfants, qui paie les parents pour profiter d’Ernst comme garçon de ferme, pratiquement comme esclave. L’enfant doit travailler à l’étable et aux champs, faire les courses ; on ne lui donne pas suffisamment à manger et le maître le frappe s’il ne se remet pas au travail immédiatement après l’école. Ce n’est qu’au bout de quatre ans au service du couple qu’Ernst est assez grand et fort pour se révolter et quitter ses maîtres.

Camille Logoz a donc eu affaire à une situation complexe : un narrateur âgé qui parle – à travers le texte et le dessin de sa fille Lika Nüssli – d’une réalité suisse alémanique rurale des années 40. De plus, les termes pour les travaux des champs ou avec les bêtes, ou les jeux des enfants, sont souvent désignés avec des termes en dialecte suisse allemand. La traductrice a su relever le défi d’une triple transposition géographique, temporelle et linguistique. Elle a puisé dans les patois régionaux romands pour des termes qu’elle a réunis dans un glossaire à la fin du livre, qui va du mot adieu pour bonjour, salut, au bouèbe, au bracaillon, à la brossée, au jass, à la piaute, au regain, à roillé, au tchacaiâon, au tchu et à l’impératif amical veille-toi, prends soin de toi, qui correspond exactement au bhüeti en dialecte.

Si l’émotion passe souvent à travers l’expressivité du dessin, le narrateur parle très peu de ses sentiments. Par contre, il s’attarde volontiers sur des considérations pratiques :  comment on construit un abreuvoir pour le bétail, comment on fume la viande ou comment on fait les foins. La traductrice suit ses descriptions avec précision et clarté, mais aussi avec élégance. On s’attache beaucoup à ce narrateur sobre et précis, avec une mémoire incroyable, qui ne s’apitoie jamais sur son sort, qui décrit avec clairvoyance ce qu’il a vécu, sans accuser personne, et qui fait preuve aussi d’un sens de l’humour pince-sans-rire. Camille Logoz trouve à merveille ce ton laconique du narrateur, il lui arrive même d’être plus courte et concise qu’en allemand, par exemple lorsqu’elle traduit la phrase : « Im Sommer 1944 wurde ich sieben Jahre alt und bekam ein ganzes Spiegelei. » En français, elle y réussit avec un seul verbe, un rythme entraînant et même une rime : « L’été 1944, j’ai eu sept ans et un œuf au plat rien que pour moi. »

Les dialogues tout aussi laconiques s’appuient quant à eux sur des formules toutes faites et des conventions. On sent que les gens sont des taiseux, qu’ils ne se disent pas grand-chose, qu’ils réutilisent toujours les mêmes expressions. Là aussi, la traductrice ne succombe jamais à la tentation d’en dire trop, elle réduit encore au minimum. Par exemple, quand le garçon arrive chez le couple de paysans et doit prendre congé de son père et de sa sœur, sur le dessin on le voit pleurer, tandis que la paysanne dit : « Das Heimweh vergeht dann schon mit der Zeit. » – en français simplement et encore plus brièvement : « ça va passer, mon garçon ».

Vous allez peut-être ressentir cette histoire comme sombre, mais ce n’est pas tout à fait vrai – car Ernst est fort de nature (il est « ein starkes Ding ») et arrive toujours à se procurer des petits plaisirs et à rencontrer des personnes bienveillantes. Mon personnage préféré est la dame du magasin qui, à en croire les dessins, a très bien compris qu’Ernst lui vole des tablettes de chocolat, mais qui lui sourit et ne le dénonce jamais. Rien à voir avec la figure de la traductrice, si ce n’est pour cette attitude de suivre avec attention, de comprendre, de nourrir le texte avec intelligence et bienveillance. Merci à Camille, d’avoir fait vivre Ernst et son enfance de paille en français, et félicitations pour avoir obtenu le Prix Viceversa de traduction !